Plongée au cœur du centre de retraitement des déchets de la Hague

C’est un centre unique au monde. Dans l’usine de la Hague-Beaumont exploitée par Areva, quelque 5 000 personnes s’occupent de la valorisation du combustible et de l’entreposage des déchets ultimes. Un centre où la puissance d’une centaine de réacteurs est concentrée dans 3 piscines… Novetic 15/12/2011 BH

La Hague. Depuis 1966, le nom de la cité est lié au nucléaire et à son centre de traitement des combustibles usés issus des centrales nucléaires françaises et étrangères. Cette ville dans la ville qui compte quelque 5 000 travailleurs – dont un millier de sous-traitants – avec ses techniciens, ses administratifs, son personnel médical, ses pompiers, fait indirectement vivre près de 10 000 personnes autour d’elle. De loin, les quelque 300 hectares du site ne laissent en rien présager un site nucléaire ; la cheminée et les cubes de tôles bariolés ne déparent pas d’une installation industrielle classique. Pourtant, à l’intérieur dorment l’équivalent de 108 réacteurs, désossés en barres de combustibles, au fond de piscines de stockage, ou en MOX.

Le lieu est stratégique et pourtant il se visite. Beaucoup même. Et officiellement. Avant le plan vigipirate renforcé suite aux attentats de 2001, il accueillait jusqu’à 10 000 personnes par an. Aujourd’hui, deux fois moins, même si les nombreux panneaux pédagogiques parsemés sur le site montrent que le grand public est toujours le bienvenu, après avoir montré patte blanche (contrôle d’identité et des photos notamment, multiples passages de badge et revêtement d’une tenue spécifique). Areva, qui l’exploite, en a fait une sorte de vitrine de l’excellence de la filière nucléaire française. Un tel centre est d’ailleurs unique au monde. De fait, « le retraitement ne présente aucun intérêt et Areva n’arrive d’ailleurs pas à vendre son modèle à l’étranger » tranche de son côté l’expert nucléaire Mycle Schneider (voir article lié), qui travaille pour le cabinet Wise. Plusieurs usines, en Allemagne, aux Etats-Unis ou en Belgique ont ainsi été arrêtées. Restent celles de Sellafield en Angleterre, de Cheliabinsk en Russie, Kalpakkam en Inde et une de démonstration au Japon. La Corée du Sud cherche cependant à recycler son combustible et, selon Areva, les Etats-Unis regarderaient de nouveau cette solution, mais Mycle Schneider reste sceptique…

Mais pour l’OPECST (office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), la question ne se pose pas ainsi en France. Dans son rapport sur « L’avenir de la filière nucléaire » rendu public le 15 décembre, il explique que l’abandon du retraitement des combustibles usés poserait des problèmes de stockage et d’acceptabilité de ces « déchets radioactifs d’un nouveau type ». Une problématique à laquelle sont confrontés les Américains qui n’ont « toujours pas à ce jour mis au point une solution crédible pour le stockage à long terme de leurs combustibles usés. »

Pourquoi le retraitement ?

Petite précision sémantique d’abord. Connue du grand public comme un centre de retraitement des déchets nucléaires, Areva insiste pour parler d’une usine de « valorisation des combustibles usés » (la loi du 28 juin 2006 précisant la définition du « déchet »). Une distinction qui a toute son importance et que « Sortir du nucléaire » récuse. Pour le réseau en effet, « le « retraitement » du combustible nucléaire usé est l’une des escroqueries (du lobby nucléaire) ; Areva ose même en parler comme d’un recyclage, masquant ainsi un problème insoluble par un artifice de langage », explique-t-il dans un récent petit livre « Sortir du nucléaire, c’est possible ». L’entreprise va même plus loin car sur son site internet elle n’hésite pas à écrire : « S’il est reconnu que recycler 85 % du contenu d’une voiture fait de celle-ci une voiture « écologique », alors, le recyclage de 96 % du contenu d’un combustible usé en fait un combustible écologique »…Un amalgame qui fait crisser des dents les anti-nucléaires.

Au départ, le retraitement a été envisagé à des fins militaires, puis pour pallier un manque éventuel d’uranium à une époque où l’on craignait une rareté du métal et par conséquent une forte hausse de son prix. Mais la relative disponibilité actuelle de l’uranium remet en question le bien-fondé du retraitement. « L’extraction du plutonium aurait pu être arrêtée. Mais stopper le « retraitement » du combustible reviendrait à reconnaître que le secteur nucléaire ne sait que faire de ses déchets. Le « retraitement » entretient l’illusion que les déchets radioactifs pourraient être « gérés » voire « recyclés », à condition de faire croire que l’on peut utiliser à des fins pacifiques le plutonium extrait des combustibles usés », estime Sortir du nucléaire. Il n’y a aujourd’hui « plus de raison de retraiter le combustible », renchérit Mycle Schneider « si ce n’est la crainte de l’effet que cela aurait sur la filière nucléaire dans le monde ».

De son côté, Areva s’enorgueillit de pouvoir traiter 96 % des matières du combustible, soit 95% d’uranium et 1% de plutonium qui peuvent ensuite être utilisés pour produire de l’électricité. « Cela permet d’économiser jusqu’à 25 % des besoins en uranium naturel », précise Catherine Argant, la responsable communication du site. Propriété de l’électricien, ces combustibles recyclés doivent lui permettre de « moduler son stock en fonction des prix », estime-t-elle. Mais aujourd’hui, EDF est un des seuls clients du centre, aux côtés de l’Allemagne, Japon, Suisse et Italie (environ 20%). Les 4 % restant du combustible usé constituent des déchets ultimes (produits de fission et actinides mineurs) de haute valeur radioactive. Compactés et vitrifiés, leur volume est ainsi divisé par 5.

Comment ça marche ?

Une fois les combustibles des centrales nucléaires françaises mais aussi de certaines centrales allemandes, japonaises, suisses ou italiennes, arrivés en bout de course, les barres de combustibles (environ 4 m de hauteur sur 30 cm de large et de profondeur) sont conditionnés dans des « châteaux », soit des conteneurs en acier de 110 tonnes qui renferment environ 10 tonnes de matières nucléaires et qui sont acheminés à La Hague par bateaux, trains ou camions. Une fois arrivés sur le site, qui privilégie l’entreposage sous eau, les combustibles sont transportés par des robots télécommandés dans l’une des 3 piscines où ils sont stockés en paniers. Ils resteront plongés par 9 mètres de fond pendant 3 à 5 ans, le temps de faire décroître leur radioactivité. Pour protéger le personnel des radiations, 4 mètres d’eau séparent les 9 600 tonnes de combustibles irradiés de la surface de l’eau maintenue de façon constante à 35°. Le lieu est d’ailleurs accessible aux visiteurs simplement vêtus de la tenue de rigueur : combinaison blanche, baskets aux semelles de 5 cm, casquette renforcée et masque à oxygène en bandoulière. A la sortie, des appareils de détection vérifient la non-contamination des visiteurs.

La phase suivante, elle, n’est pas accessible au quidam. Une fois la période de refroidissement achevée et son taux de combustion contrôlé, le combustible est ensuite cisaillé en tronçons de 35 mm puis plongé dans l’acide nitrique, ce qui en dissout la matière nucléaire. Une fois séparées des déchets, les matières recyclables sont récupérées : l’uranium est transformé en nitrate d’uranyle liquide puis solidifié et transporté dans les usines permettant son recyclage. Le plutonium est lui converti en oxyde de plutonium et conditionné dans des boîtes en inox avant d’être envoyé par camion par lot de 300 à 450 kg/ semaine à l’usine Melox, à 1 000 kms de là, pour être converti en MOX. Un combustible « 5 à 7 fois plus radiotoxique qu’un combustible classique » selon Sortir du nucléaire…Il est aussi « plus instable et compliqué à utiliser » selon Greenpeace. Aujourd’hui près de 74 tonnes de plutonium seraient conservées à La Hague, selon l’ONG.

Quant aux déchets les plus radioactifs, ils sont d’abord conservés sous forme liquide avant d’être vitrifiés pour emprisonner la radioactivité et stabiliser l’élément. Puis entreposés en sous-sol, en attendant d’être éventuellement stockés dans le centre de stockage des déchets de très longue durée pour les déchets hautement radioactifs que l’Andra (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) étudie à Bure, dans la Meuse (voir article lié). Les déchets étrangers sont, eux, renvoyés dans leur pays d’origine. Fin novembre, le dernier des convois –très contestés- de ces déchets vers l’Allemagne quittait ainsi la France. Sous l’œil attentif des anti-nucléaires.

L’avenir de la filière

Si le paragraphe de l’accord PS-EELV sur la fin du retraitement des combustibles a fait long feu, l’avenir du centre de La Hague reste posé dès lors que l’on s’engage ou non dans une sortie, même progressive du nucléaire, puisqu’il est destiné à prolonger le cycle de combustible utilisé dans les centrales. « La réduction de la part du nucléaire à 50% de la production nucléaire électrique nous donne des craintes sur l’activité de l’usine de La Hague et de Melox dans le Gard. Cela reviendrait en effet à fermer progressivement 24 réacteurs, ce qui veut dire une baisse de 85% du besoin en Mox. Et comme EDF ne demande à retraiter que le volume de combustible correspondant au recyclage MOX, le calcul est vite fait : il y aura une baisse de 85% du retraitement commandé par EDF le principal client de La Hague. A terme cela signifie inéluctablement l’arrêt du recyclage », fait remarquer Philippe Launay, Secrétaire du syndicat FO La Hague. Mais déjà, « les usines de La Hague et de Melox tournent au ralenti », estime Greenpeace qui parle même de « faillite sociale ». « Dimensionnées pour répondre à une forte demande internationale, elles ne sont aujourd’hui utilisées qu’à environ 50 % de leur capacité. Areva envisage de réduire drastiquement les effectifs concernés ». Ce qu’elle devrait confirmer le 12 décembre 2011, lors de la publication de son plan de restructuration stratégique.

Par ailleurs on manque encore de données économiques sur la filière, souligne Mycle Schneider. C’est notamment pour cela, qu’après Fukushima, la Cour des comptes a été missionnée d’un audit sur les coûts de la filière nucléaire, dont la publication est attendue pour début 2012.

(1) EDF, Direction Production Transport, « Combustible MOX – Aspects techniques, économiques et stratégiques », EDF, 24 November 1989.

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